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Zoom
En quelques
mois, Ike Antkare est devenu l'un des chercheurs les plus cités de
l'histoire de la science moderne. En avril 2010, son h-index - l'indice
bibliométrique le plus populaire pour évaluer les scientifiques - a
culminé à plus de 90 points. C'est-à-dire bien plus que celui de la
majorité des plus grands chercheurs vivants. Par comparaison, les
auteurs les plus cités dans les disciplines les plus porteuses ne voient
que très rarement leur h-index dépasser les 40 points... Avec un score
supérieur à 90, Ike Antkare peut se prévaloir d'une influence sur la
science moderne comparable à celle d'Albert Einstein...
A ceci
près que Ike Antkare n'est pas physicien, mais chercheur en
informatique. Publiée en 2009, sa thèse de doctorat (" Construire
--l'e-business en utilisant des modalités psycho-acoustiques ") a déjà
été citée une centaine de fois. Presque autant que son maître ouvrage ("
Analyse des jeux en ligne massivement multijoueurs grâce aux modèles
hautement disponibles "), publié en mars 2009 dans les prétendus Proceedings of the Workshop on Cacheable Epistemologies.
On
l'aura compris, Ike Antkare (prononcer " I can't care ", " Je m'en
fiche ") n'existe pas. Non plus que sa contribution à la science, elle
aussi totalement ectoplasmique. Comment un chercheur virtuel peut-il
être crédité d'un h-index aussi élevé ? La réponse est d'une désarmante
simplicité. " Grâce à un générateur de faux textes, j'ai produit une
centaine d'articles factices signés Ike Antkare, chacun citant tous les
autres, explique Cyril Labbé, chercheur en informatique, maître de
conférences à l'université Joseph-Fourier de Grenoble et créateur d'Ike
Antkare. Puis j'ai mis en ligne ces articles sur ma page personnelle. "
La
suite est attendue : abusé par le système de citations utilisé par les
publications factices, ainsi, sans doute, que par leur lieu de
publication - une page personnelle hébergée sur le site d'une université
-, Google a indexé les " travaux " signés Ike Antkare dans Google
Scholar, sa base de données de la littérature scientifique.
Google
Scholar est l'une des trois bases de données utilisées pour calculer le
h-index des chercheurs. Payantes, les deux autres (Web of Knowledge,
d'ISI-Thomson Reuters, et Scopus, d'Elsevier) sont désormais moins
couramment utilisées. Mais, afin de ratisser le plus large possible,
Google indexe tout ce qui ressemble à de la littérature scientifique et
non nécessairement ce qui relève de la littérature scientifique -
c'est-à- dire les travaux publiés après un minimum d'expertise.
Cette faiblesse a mis la puce à l'oreille de M. Labbé. "
En consultant les citations que Google Scholar attribuait à mes
travaux, je m'étais rendu compte, par exemple, qu'une référence dans une
"présentation powerpoint" était comptabilisée comme une citation par un
article dûment publié ", explique-t-il. S'agissant d'Ike Antkare,
bien que désormais identifié pour ce qu'il est - ou n'est pas -, il n'a
toujours pas disparu de Google Scholar. La preuve est faite que
l'évaluation fondée sur la seule mesure des citations peut être
lourdement biaisée.
S. Fo.
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