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L'entonnoir
10 mai 2011

"gazer un prévenu au lieu d'appeler un médecin"

Pour calmer un prévenu, le président du tribunal de Bayonne préfère le gaz lacrymogène
 

C'était un fort beau discours. Le président Alain Tessier-Flohic, avant de rejoindre le tribunal de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), avait prononcé en janvier 2009 à Foix son dernier discours de rentrée, où il rappelait que " le rôle du juge consiste à faire preuve d'humanité bienveillante ".

Il a eu un moment de distraction, jeudi 5 mai, en faisant gazer par la police un jeune homme qui était très agité, juste avant de comparaître devant le tribunal. La chancellerie a demandé " des explications " à son chef de cour.

Nicolas, 18 ans, était déjà un peu énervé lorsqu'il a été bouclé dans la geôle du palais de justice, jeudi à 14 heures, en attendant d'être jugé en comparution immédiate pour sept à huit vols de sacs à l'arraché ou tentatives, avec son scooter, et en récidive, comme l'a révélé Sud-Ouest. Le jeune homme, " polytoxicomane ", était en période de sevrage et s'est plaint à son avocate que la maison d'arrêt ne lui avait pas donné assez de médicaments.

Comme l'attente se prolongeait, il a commencé à hurler, à se taper la tête contre les murs, au point que le président du tribunal, deux étages au-dessus, est descendu voir ce qui se passait. Il a essayé de calmer le jeune homme qui n'était plus en état d'entendre quoi que ce soit, et a finalement demandé aux policiers de lui mettre un coup de gaz lacrymogène.

Les policiers n'y sont pas allés de main morte, deux d'entre eux le tenaient pendant qu'un troisième lui vidait sa bouteille au visage ; le lendemain, les geôles n'étaient toujours pas utilisables. " Qu'est-ce que vous voulez, au bout d'un moment, on est obligé d'employer la force strictement nécessaire, a déclaré M. Tessier-Flohic à France Info, et la force strictement nécessaire, c'est un coup de gaz. Ou c'était le gaz, ou c'était le médecin avec une piqûre pour essayer de le calmer. Le problème, c'est qu'il passait en correctionnelle après, et qu'il valait mieux qu'il soit en état de répondre aux questions. "

" Gravissime "

Cela n'a pas tout à fait été le cas. Les policiers l'ont jeté dans la salle d'audience torse nu, à demi-aveugle, hurlant et crachant, il sentait tellement le gaz que les yeux des personnes présentes ont commencé à piquer et qu'il a fallu évacuer la salle, pour aérer un peu.

Son avocate, Me Myriam Unal, l'a attrapé par le bras, l'a fait asseoir tant bien que mal, une greffière a trouvé du sérum physiologique. Marie-Hélène Ville, qui présidait l'audience, a aussitôt fait appeler un médecin, jugé l'affaire " gravissime ", en s'indignant de ces " procédés inhumains et dégradants ", sans se douter que c'était une idée de son président.

L'audience, quand tout le monde a pu un peu mieux respirer, s'est tenue une heure et demie plus tard. Nicolas, toujours torse nu, voulait absolument être jugé, la présidente a estimé qu'il valait mieux reporter l'affaire au mardi 10 mai. " On n'a jamais vu ça, s'indigne Me Unal, gazer un prévenu au lieu d'appeler un médecin ! Mais on a raison de dire que les comparutions immédiates sont la justice du pauvre, il faut faire du chiffre. C'est surtout de cela que cette affaire est révélatrice. "

Franck Johannès

© Le Monde
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